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Nouveau Départ
“Accomplir une révolution, c’est faire un tour complet sur soi-même, autant dire revenir au point de départ.”
Je me suis levée aux aurores, pour avoir la séance avec ma psy. Elle a pour habitude de s’exprimer lentement en articulant chaque syllabe :
« Bonjour Halima. Que se passe-t-il ?
-Je suis découragée… Je ne sais pas par quoi commencer… »
Un silence s’installe. Je peux voir la figure sympathique de la thérapeute sur l’écran de la tablette. Je continue :
-Je pensais avoir réussi à me stabiliser ici, mais là tout est parti dans tous les sens.
-Comment ça tout ?
-Et bien, tout d’abord, je me suis laissée aller au travail. J’aurais dû être plus attentive, et maintenant je risque de perdre ma place.
-Que s’est-il passé ?
-J’ai rencontré ce type. Je vous en ai parlé je crois. Tout allait bien et là je pense que c’est fini. J’ai découvert qu’il n’était pas ce qu’il prétendait être. Je me sens trahie et tellement stupide d’avoir passé tout ce temps avec lui, alors que j’aurais dû me focaliser sur mon travail. Je sais que je vais être licenciée aujourd’hui.
-Comment ça, vous savez ?
-Enfin, je crois.
-Vous croyez que vous allez être licenciée. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
-Mon employeur a renvoyé une grande partie de l’équipe. Je ne vois pas pourquoi j’y échapperai, j’ai moins d’un an d’ancienneté.
-Vous pensez donc que vous risquez de perdre votre emploi. Comment vous sentez-vous, Halima ?
-J’ai peur. Oui. C’est ça j’ai peur.
-Pourquoi ?
-D’avoir à tout recommencer.
-Faisons une séance de respiration, d’accord ?
-D’accord. »
Après plusieurs inspires et expires les yeux fermés, je me surprends à lui dire :
« Je sais aussi que si j’ai pu trouver cet emploi c’est que je peux en trouver un autre.
-Oui.
-Et que si j’ai pu tomber amoureuse de Reza c’est que j’ai vraiment tourné la page avec mon ex-mari.
-Oui.
-Finalement, ce n’est pas si mal. »
Elle reste silencieuse, alors je continue :
« C’est même une expérience formidable finalement. C’est la plus belle aventure que je n’ai jamais vécue.
-Comment vous sentez-vous ?
-Je me sens grandie. Je ne suis plus la même, c’est certain. Je me dis que tout est possible. Il suffit que j’aie confiance en moi.
-Vous me tiendrez au courant de l’évolution au travail ?
-Oui, bien entendu. J’en saurais plus aujourd’hui… Sinon, je ne sais pas quoi faire avec Reza ?
-Pourquoi ?
-Je ne veux pas parler de ce qui s’est passé ! » dis-je, avec véhémence.
Elle reste de marbre. Je poursuis, avec un fond de colère dans la voix :
« Mais je sais que je ne veux plus le revoir !
-Très bien. Ne vous forcez pas.
-Il est temps que je me rende au bureau. On se reparle cette semaine ?
-Oui je vous envoie mes disponibilités.
-Merci, au revoir.
-Au revoir Halima. »
Ce n’est pas vrai, j’ai encore largement le temps de continuer la séance. Mais je ne suis pas encore prête à aborder la problématique de ma vie amoureuse avec un potentiel serial-killer. D’ailleurs, j’ai ignoré tous les appels et textes de Reza depuis la veille. Je prends le temps de faire ma toilette et de choisir une tenue coquette pour me rendre au bureau. Si cela doit être ma dernière journée avec eux, autant que je sois sur mon trente-un ?
Il est près de neuf heures lorsque la porte d’ascenseur s’ouvre sur un open-space que je ne reconnais pas. Chen n’a pas exagéré, près de la moitié des postes sont vides. Je m’installe à ma place, face à Jessica, après avoir salué cette dernière d’un sourire forcé. Zut, elle n’a pas été virée, et je vais devoir continuer à me farcir son incompétence. J’hésite à aller voir mon boss pour le notifier de ma présence, et ainsi glaner des informations, mais je remarque que son bureau est fermé. Je décide de ne pas le déranger pour le moment, et me met au travail du mieux que je peux. J’ai une semaine à rattraper, après tout.
Cela fait moins d’une heure que je suis plongée dans un fichier Excel, lorsque la sonnerie du poste téléphonique de mon bureau retentit. Je suis à deux doigts de la crise cardiaque car je reconnais le numéro de la directrice des ressources humaines. Je décroche :
« Ally ? C’est Pam. Pourrais-tu venir à mon bureau ? »
J’ai envie de répondre : « Je sais qui tu es. Une sociopathe cachée sous des airs d’ange sociale. Et non, je ne veux pas venir. » Je m’entends dire à la place :
-Bien entendu Pam. J’arrive tout de suite ».
Je frappe quelques coups discrets et ouvre la porte :
« Je suis là.
-Referme la porte derrière toi. Ça ne prendra pas longtemps. »
Je m’installe bien sagement dans le siège lui faisant face. Kevin n’a pas l’air de se joindre à l’entrevue. Il a laissé tout le sale boulot à mon interlocutrice. Celle-ci se tient bien droite dans un tailleur strict, et m’observe derrière de grosses lunettes cerclées. Elle me demande d’un ton sec :
« Tout d’abord, je suis contente que tu ailles mieux. Tu t’es bien reposée ? »
J’hoche rapidement la tête, sans prononcer un mot. Inutile de s’éterniser en politesses, quand je vais m’entendre dire de ramasser mes affaires et de rentrer chez moi me prendre un aller simple pour le Maroc. Elle continue :
-J’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer. »
Je prends une profonde inspiration en m’inclinant vers l’arrière, les bras croisés.
« Nous avons été dans l’obligation de laisser Kevin partir. »
Elle cligne des yeux, en se pinçant les lèvres. Elle m’a tout l’air d’avoir une conscience derrière son allure glaciale. Ou bien c’est juste un tic… Je me hasarde à demander, l’air de rien :
« Il est parti où ? En congés ? »
Elle me fusille du regard :
« Kevin a été licencié vendredi, comme nombreux de nos collègues. Tu n’étais pas au courant ? »
Elle n’a pas l’air d’apprécier mon humour, alors je m’empresse de répondre le plus sérieusement possible :
« Non, je ne savais pas. Je suis désolée pour lui… et les autres.
-Oui, moi aussi. Maintenant, j’aimerais que l’on parle de toi.
-Oui ?
-Tu fais de l’excellent travail, et nous aimerions que tu acceptes le poste de responsable du service. »
Elle s’est mise à sourire maintenant, dévoilant des dents jaunies par la nicotine :
« Tu as entendu, Ally ? Accepterais-tu de prendre les responsabilités qu’occupaient Kevin ? »
Je parviens tant bien que mal à ne pas dévoiler ma joie :
« Je vais y réfléchir.
-Oui bien sûr, prends le temps d’y penser. Mais je tiens tout de même a ce que tu jettes un coup d’œil sur l’offre. »
Elle me tend un papier. Je me penche pour regarder, et je n’ai pas besoin de l’étudier bien longtemps pour comprendre que je vais signer la proposition. Le salaire est le double de l’actuel, et je me vois déjà déménager dans un appartement plus vaste, faire mon shopping dans les boutiques branchées de Soho et dîner chaque soir dans le meilleur sushi de la ville. Je relève la tête vers Pam :
-J’ai une question.
-Oui ?
-Je m’étais mis d’accord avec Kevin de prendre des vacances à partir de la fin de la semaine. Est-ce que c’est toujours bon si je m’absente pour me rendre au Maroc une quinzaine de jours ?
-Je n’y vois pas d’inconvénients. Juste tâche de me donner une réponse avant ton voyage ? »
Mon petit mensonge est passé comme une lettre à la poste, et c’est plus légère que je quitte le bureau des ressources humaines. Samia avait bien raison : je me prends souvent la tête pour rien.
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Pour lire les aventures de Halima du début :
http://mensonges-et-verites.over-blog.com/2016/03/les-commencements.html
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